Comment une cellule contrôle-t-elle l'expression de son génome? Comment ce contrôle s'intègre-t-il dans un programme de développement d'un organisme multicellulaire? Quelles sont les conséquences de défauts de ces mécanismes de contrôle? Comment ces défauts peuvent-ils générer des pathologies chez l'humain? Ces questions sont loin d'être résolues. Nous avons choisi de les aborder en nous focalisant sur les contrôles qui s'exercent sur l'ARN. Alors qu'on a longtemps pensé que l'essentiel des contrôles de l'expression génétique s'effectuait sur la transcription, il est maintenant clair que les régulations portant sur l'ARN, appelées régulations post-transcriptionnelles, sont au moins aussi importantes. Ces régulations s'exercent à de nombreux niveaux : épissage (alternatif), stabilité et localisation de l'ARNm, traduction.
L'équipe "Gene expression and development" (GED) étudie les régulations post-transcriptionnelles, en utilisant essentiellement comme modèles l'amphibien xénope (pourquoi le xénope?), les cellules en culture et la souris. Ces recherches ont un fort impact pour la compréhension de certaines pathologies chez l'humain.
Développement du cristallin et cataracte
La CELF1 est une protéine de liaison aux ARN jouant de nombreux rôles dans le métabolisme d'un ARN. Nous avons observé que les souris invalidées de façon conditionnelle pour le gène Celf1 développent une cataracte congénitale. La cataracte consiste en une opacification du cristallin, cette lentille transparente qui permet de faire converger la lumière sur la rétine. La cataracte est actuellement la première cause de cécité dans le monde.
La transparence du cristallin est obtenue par l’assemblage très régulier des fibres cristalliniennes et par la perte de tous leurs organites intracellulaires, y compris de leurs noyaux. Ces caractéristiques fondamentales pour les fonctions du cristallin sont perdues chez les souris dépourvues de protéine CELF1.
Actuellement, nous caractérisons les réseaux de régulation de gènes dépendant de la protéine CELF1 dans le cristallin, afin d'identifier les régulations importantes pour la physiopathologie de cet organe. Dans des approches de génomique fonctionnelle, nous identifions de façon systématique les ligands ARN de la CELF1 par "CLIPseq" et les gènes exprimés de façon anormale dans les cristallins sans CELF1 par "RNAseq". Dans des approches d'imagerie et de biophysique dans les cristallins dépourvus de CELF1, nous caractérisons leur organisation cellulaire et leurs propriétés biomécaniques et optiques. Nous utilisons différents modèles de cataracte (larves de Xénope et sphéroïdes de cristallin) pour décrypter la façon dont des modifications de l'expression des gènes en absence de CELF1 conduisent à la cataracte. Ces données permettront de mieux comprendre les pathologies du cristallin.
Epissage alternatif de TP63 et carcinomes épidermoïdes de la sphère ORL
L’épissage alternatif des facteurs de transcription, en permettant l'expression d'isoformes variées, altère leur activité et peut modifier très largement les réseaux d’expression géniques. Comment ces différentes isoformes d’un même facteur de transcription peuvent elles affecter la physiologie cellulaire et comment sont-elles régulées ?
Les cancers de la sphère ORL se placent au quatrième rang des cancers les plus fréquents avec en France près de 14000 nouveaux cas chaque année. Ce sont très majoritairement des carcinomes épidermoïdes. Le gène TP63 est fréquemment surexprimé dans ces cancers. Il code un facteur de transcription, p63, de la même famille que p53. Ce facteur de transcription est central dans la biologie des tissus épithéliaux et plus particulièrement dans le développement et l’homéostasie de l’épiderme. Deux promoteurs alternatifs et de multiples évènement d’épissage alternatif permettent l’expression d’au moins huit isoformes différentes présentant des domaines fonctionnels différents. Si les fonctions de ces différentes isoformes n’ont pas été clairement décrites, il est clair qu’elles possèdent des propriétés distinctes. La compréhension du lien entre le facteur p63 et la tumorigenèse ou l'agressivité liées à la production de métastases est donc compliquée par l'existence de ces nombreuses isoformes.
Les différentes isoformes de TP63 ont des impacts différents sur la survie des patients atteints de carcinomes épidermoïdes de la sphère ORL. Actuellement, nous caractérisons d'une part le rôle de protéines de liaison à l’ARN dans le contrôle de l’épissage de TP63, et d'autre part l’impact de ces différentes isoformes de TP63 sur la physiologie cellulaire. Nous abordons le contrôle de l’épissage de TP63 à l'aide de minigènes rapporteurs d'épissage récapitulant la régulation sur TP63, par l’inactivation fonctionnelle de protéines de liaison à l'ARN. Pour l’analyse des phénotypes, nous évaluons l’impact d’une variation des proportions relative des différentes isoformes sur la prolifération et la migration cellulaire, l’expression de marqueurs et de cibles de TP63 dans des modèles 2D et 3D de culture cellulaire.